La future comtesse

la future comtesse

Auteur : Melrika Roffray

Date de publication : 2 novembre 2020

Nombre de pages : 165

Genre : roman

Il est chargé par le roi de retrouver et protéger la future comtesse. Le poste est resté vacant en attendant l’âge requis par le testament du père pour qu’elle prenne ses fonctions. Mais personne ne sait qui ni où elle est.

Alors qu’il part en mission, il sauve une jeune femme attaquée par trois bandits. Il la fait transporter dans son château, vu l’état de ses blessures et sa perte de connaissance. Amnésique, elle ne sait plus qui elle est, et ne garde aucun souvenir de sa vie.

Entre disputes et sentiments amoureux, ce roman de Melrika Roffray oscille entre magie, dialogues savoureux et un peu d’érotisme.


Lire l’œuvre

Extrait :

– Ah ! Persac !
– Votre Majesté
– J’ai appris que vous souhaitiez quitter la Cour pour retourner dans votre
fief.
– Oui, Sire, mon oncle vient de décéder et m’a laissé tous ses biens dans
le Comté de Pergalen.
– Venez, j’aimerais vous parler en privé.
– Je vous regretterai, Persac. Vous êtes un combattant redoutable, un
grand conquérant et un libérateur remarquable ainsi qu’un conseiller
avisé. Je vois bien que la vie à la Cour ne vous convient pas.
– Vous me faites trop d’honneur, Sire. Certes les grands espaces me
manquent.
– J’ai une mission très particulière à vous confier. Et puisque vous allez
vous installer à Persac, ça tombe à propos. Vous ne serez pas loin de
Pergalen.
– Ce sera un honneur de continuer à vous servir, Sire.
– Ma filleule est l’héritière du Comté. Depuis l’assassinat de ses parents, il
y a 14 ans, on la cache. Personne ne sait où elle est, ni qui elle est. Elle
aura dix-huit ans dans quelques mois et, selon le testament de son père,
elle va devoir prendre en charges les intérêts du Comté. Jusqu’à présent
votre oncle et deux autres personnes à l’identité connues d’elles seules
s’occupent des affaires courantes. Vous trouverez certainement des
documents cachés chez votre oncle. Retrouvez ma filleule, protégez-la et
faites qu’elle puisse prendre sa place à la tête du Comté.
– A vos ordres, Sire.
– Prenez vos meilleurs hommes, vous avez carte blanche. Il m’est venu
aux oreilles que des tueurs sont à sa recherche. Et, si vous le trouvez,
arrêtez celui qui a fait assassiner ses parents et qui cherche à la faire tuer,
elle aussi. Voici vos lettres de mission.
– Je ferai au mieux de vos intérêts et de ceux du Comté, Sire.
– Que Dieu vous bénisse, Persac.
– Merci de votre confiance, Sire.

Arrivé aux portes du Comté, Gwen de Kermalec, prince de Persac, fit
reposer son escadron. Il attendait son meilleur ami, le marquis Ian de
Kerjourec, installé dans son château depuis un an déjà et qui connaissait
bien la région.
– Hola ! Gwen ! Quelle joie de te revoir.
– Ian, ça fait un moment ! Merci d’avoir répondu à mon appel.
– Un escadron ? Comptes-tu envahir le Comté avec ça ?
– Non, je suis en mission pour le Roi.
– J’ai appris pour ton oncle. Grosse perte pour nous tous. C’était un
homme valeureux et foncièrement honnête.
– Malheureusement, j’ai été retenu à la Cour et je n’ai pas pu venir à son
enterrement. Il m’a nommé héritier de tous ses biens.
– Tu viens t’installer pour longtemps ?
– Définitivement.
– Le Roi a accepté ? Je sais qu’il tient beaucoup à toi. Tu es l’un de ses
meilleurs conseillers.
– Il a d’autant plus accepté que la mission qu’il m’a confiée lui tient
particulièrement à coeur.
– Ah ! je comprends mieux pourquoi tu arrives en force.
– Alors ? Et ton mariage ? La date approche.
– N’oublie pas que tu es mon témoin.
– Notre amitié est bien trop importante pour que j’oublie un tel
événement !
– Dès que vous êtes prêts à partir, je t’accompagne à Persac. En passant,
si tu veux bien, nous irons saluer ma fiancée, ça ne fera pas un grand
détour, elle habite sur la route qui mène à ton fief.
– Avec plaisir. Escadron ! En marche !
Après une visite chez le Marquis de Guéhennec pour rencontrer la fiancée
de Ian de Kerjourec, les deux hommes, suivis de l’escadron, poursuivaient
leur route vers le château de Persac.
Gwen admirait le paysage qu’il redécouvrait après des années d’absence.
Sur leur droite s’étendait une vaste lande derrière laquelle l’océan brillait
de mille feux sous le soleil de ce début de printemps. Il s’immobilisa un
moment afin de mieux admirer la vue qui s’offrait à lui, humant l’air empli
d’embruns. Il retrouvait avec joie les grands espaces de son enfance, la
douceur de l’air et la beauté des sites. Un mouvement sur la lande retint
son attention. Un cheval et sa cavalière s’adonnaient à une danse
équestre d’une pure merveille. Tous deux faisaient corps, semblant voler
au-dessus de l’herbe rase. Il crut tout d’abord à une illusion. Après tout,
on était au pays des fées, des korrigans, des elfes et autres créatures
fantastiques. Les gens du cru n’en finissaient pas, dans les veillées, de
raconter des histoires de magie, de magiciens et autres aventures
arthuriennes.
Pourtant, ce qu’il voyait là semblait bien réel. Le couple dansait en un
ballet savamment orchestré. Une sensation étrange monta en lui. Il était
hypnotisé et, d’un coup, il comprit que son coeur venait de lui être volé et
que, jamais, il ne pourrait s’empêcher de passer ses nuits à rêver d’elle.
– Eh ! Bien ! te voilà bien songeur tout à coup. Que se passe-t-il ?
Revenant à la réalité, il se tourna vers son ami.
– Rien, je regardais le paysage et ses mystères. C’est magnifique.
Ian suivit son regard, puis observa son ami et sourit.
– Je te comprends. La lande fait toujours cet effet-là. Il faut la voir aussi
quand l’océan est déchaîné. C’est un spectacle extraordinaire. Et, de
temps en temps, on y voit danser les fées.
– Les fées font du cheval ? C’est nouveau.
– Va savoir !
– Qui est-ce ?
– Peut-être la fée de la lande qui donne une leçon de dressage ?
– Cesse de te moquer, les fées n’existent que dans les esprits et les
contes, tout comme les korrigans et autres gnomes, elfes et j’en passe.
– Tu semblais tellement subjugué que je voulais te laisser croire à la
magie des lieux. Peut-être parviendras-tu à faire sa connaissance. Elle est
insaisissable. C’est une sauvageonne. Au choix on te dira que c’est une
sorcière, un ange, une envoyée du ciel ou la fille du diable.
– Finalement, je préfère ton image de la fée des landes. Ce qu’elle arrive à
obtenir de sa monture est extraordinaire.
– C’est un fait.
Après un dernier regard, ils repartirent.
Le Prince de Persac pénétra dans la cour de la ferme. Il avait parcouru une
longue distance et sa monture montrait des signes de fatigue. Lui-même
d’ailleurs ressentait une sorte d’engourdissement et la soif l’étreignait. Il
lui restait encore deux lieues à parcourir avant d’arriver chez lui.
Une paysanne vint à sa rencontre. Il lui demanda à boire pour sa monture
et pour lui-même, posa pied à terre et alla se mettre à l’ombre d’un arbre
sur un banc près de l’entrée. On apporta un seau pour l’animal et pour lui
une cruche en terre remplie d’eau fraîche.
Regardant autour de lui, il avisa un magnifique cheval gris pommelé, bien
trop beau pour appartenir aux fermiers.
– à qui est ce cheval ? demanda-t-il au jeune garçon qui déposait le
plateau devant lui.
Le jeune homme le regarda attentivement. On n’aimait pas trop les
questions par ici. Mais, visiblement, il avait affaire à un noble et ne voulait
pas paraître grossier.
– A la demoiselle du château, répondit-il en pointant du menton une jeune
femme occupée à caresser l’antérieur d’un veau.
– Quel château ? Pas de Persac, je n’ai jamais vu ce cheval chez moi.
– Guéhennec, cette ferme dépend du château de Guéhennec.
Le garçon s’éloigna, souhaitant échapper à d’autres questions. Le Prince
observa la scène présentée par la jeune femme et l’animal. Il était
intrigué. S’il avait reconnu le cheval de la lande, il souhaitait voir de plus
près la cavalière qui le montait.
Elle s’était relevée et revenait vers la cour en discutant avec un paysan
d’un certain âge qui l’accompagnait.
– Tenez-le isolé avec sa mère encore demain, disait-elle. Je dois aller à la
métairie des Graviers, je ne reviendrai que dans deux jours. Je pense qu’il
ira déjà beaucoup mieux.
– Bien Mademoiselle, merci de vous être déplacée.
Il l’aida à enfourcher son cheval, puis s’éloigna. Elle vérifia qu’il n’y avait
plus personne près d’elle, remonta sa voilette et ôta son chapeau qu’elle
accrocha à la selle. En passant près du prince, elle lui jeta un regard
surpris, à peine quelques secondes, fit un petit geste de la tête pour le
saluer et partit au galop.
Ce regard ! Il en restait interdit. Deux lames d’acier venaient de le
transpercer.
Elle sortait de la ferme au trot de sa monture. L’air était doux, elle ne se
pressait pas. Un vent léger faisait bruisser les arbres dans la forêt proche,
à gauche de la route. Elle allait faire un tour sur la lande avant de rentrer
au château. C’était une belle journée, autant en profiter, pensait-elle.
Soudain, trois hommes sortirent du bois, se précipitèrent vers elle,
essayant d’attraper les rênes. Le cheval se mit aussitôt à ruer, tournoyer,
se dresser, allongeant pour le compte l’un des bandits à terre. Puis il
réussit à se dégager et s’élança. L’un des bandits brandit un pistolet et
tira.
Dans le même temps, une troupe de cavaliers arrivait au détour de la
route. Le cavalier de tête avisa la scène et se précipita, suivi de ses
soldats. D’un coup d’épée il désarma l’homme au pistolet. Trop tard. Il vit
la cavalière porter une main à l’épaule tandis que le cheval faisait un
écart, visiblement affolé. La jeune femme tomba lourdement, fut traînée
sur le chemin rocailleux quelques instants, puis s’immobilisa. Le cheval
poursuivit sa fuite en avant.
Tandis que ses soldats encadraient les bandits, il se précipita, sauta à
terre et s’approcha de la petite forme étendue. Yeux fermés, la respiration
saccadée, elle semblait inconsciente. Il vit le sang couler sous son dos et
sa tête. Il appela un de ses soldats.
– Allez au château prévenir mon médecin et l’infirmier que nous amenons
une blessée, inconsciente et qui saigne. Ficelez-moi ces canailles et faitesles
conduire à la prison du comté. Nous aviserons de ce qu’il convient de
faire d’eux plus tard.
Il enfourcha sa monture, un soldat vint l’aider à hisser la victime. Il la prit
avec mille précautions entre ses bras et partit vers son château.
Il avait envoyé un messager au château de Guéhennec. On avait dressé
une grande table en hâte dans le hall du château et déposé la blessée. Le
médecin, l’infirmier et une femme de chambre se pressaient autour d’elle.
On avait déjà posé un bandage à la tête après avoir lavé et soigné la
plaie. Puis on l’avait couchée sur le ventre. On avait découpé tout le dos
de sa robe et une manche. Outre la blessure par balle, des gravillons
s’étaient incrusté dans la chair du dos où apparaissaient des traces de
brûlures anciennes. Le bras était strié de traînées sanguinolentes.
Pour l’heure, le médecin tentait d’extraire la balle qui avait pénétré
profondément dans l’épaule gauche.
Un carrosse pénétra dans la cour. En sortirent un homme d’une soixante
d’années, appuyé sur une canne, certainement le Marquis de Guéhennec
et une jeune femme que le Prince reconnut aussitôt comme étant la
fiancée de son grand ami Ian de Kerjourec.
Arrivés dans le hall, le Marquis observa la scène, son regard s’attarda sur
le dos marbré de brûlures de la jeune blessée et les gravillons qui
laissaient des traces sanguinolentes.
– Par tous les saints ! s’écria-t-il avant de s’effondrer dans un fauteuil
qu’on trouva judicieux d’avancer en le voyant vaciller.
La jeune femme quant à elle devint très pâle, se mit à pleurer sous le
coup de l’émotion et on s’empressa de la reconduire à la voiture avant
qu’elle ne s’évanouisse. On l’entendait murmurer “la pauvre chérie, la
pauvre chérie“.
Après avoir bien péniblement réussi à extraire la balle, le médecin
s’attaqua aux cailloux qui s’étaient incrustés dans les chairs. Puis on lava
et enduisit d’un onguent les plaies avant de procéder aux bandages.
Le Marquis, encore sous le choc, observait chaque geste.
Enfin, le praticien s’approcha du prince et lui parla longuement. Ce dernier
hochait la tête par instant. Puis il s’approcha du marquis.
– Permettez-moi de me présenter, Gwen de Kermalec, Prince de Persac. Je
viens de reprendre le fief de mon oncle dont j’ai hérité récemment.
Le Marquis hocha la tête.
– Marquis de Guéhennec, murmura-t-il, incapable de prononcer d’autres
mots.
– Marquis, le médecin me dit que la blessée est trop mal pour qu’on puisse
la transporter jusque chez vous. La route n’est pas si praticable et les
cahots pourraient aggraver son était. Elle n’a toujours pas repris
connaissance, les blessures sont graves, surtout celle de l’épaule et elle a
perdu beaucoup de sang.
D’autre part, il dit encore que les brûlures anciennes risquent de retarder
la cicatrisation. Aussi, il demande à ce que vous laissiez la malade ici
jusqu’à complet rétablissement. Je vais mettre une chambre à disposition
pour assurer les soins. Si vous souhaitez rester, je peux aussi mettre une
chambre à votre disposition.
– Je crois que nous ne serons d’aucune utilité ici, répondit le Marquis avec
difficulté.
– Nous ne savons pas quand elle reprendra connaissance. Le médecin
n’est pas très confiant.
– Prenez grand soin d’elle. Elle est sous ma responsabilité.
– Mon médecin fera tout ce qui est en son pouvoir, Marquis, je puis le
garantir.
– Merci Altesse, pardonnez mon émoi, je ne m’attendais pas à …
Il fit un geste vers la forme inanimée. On lisait la plus grande confusion
dans son regard bleu.
– Je comprends, Marquis, il lui faudrait du linge propre et du change.
– Je vais vous envoyer sa femme de chambre ainsi qu’une malle. Sauvezla,
Altesse. C’est … capital.
– Je vous accompagne à votre voiture afin de m’assurer que Mademoiselle
Gwendoline va bien.
Cela faisait une semaine maintenant que la jeune fille était inconsciente.
Le médecin passait plusieurs fois par jour, lui parlait, la femme de
chambre la suppliait de se battre et Gwen lui-même venait, de temps en
temps lui faire la lecture, l’exhorter à lutter. Tous essayaient de maintenir
le contact, mais elle ne réagissait pas.
Le praticien était inquiet. Si la blessure à la tête semblait à peu près
cicatrisée, les autres et surtout celles de l’épaule et du bras suppuraient et
ne semblaient pas vouloir guérir. Une forte fièvre refusait de baisser. Le
pronostic était incertain. Comme il l’avait dit “elle est entre la vie et la
mort, souhaitons qu’elle ait suffisamment d’énergie et de volonté de
vivre“.
On envoyait chaque jour un rapport au Marquis afin de le tenir au courant
de l’évolution de la blessée. Bien sûr, on essayait d’être rassurant, mais le
vieil homme n’était pas dupe.
Le prince avait également informé que les bandits arrêtés avaient été
envoyés à la prison du comté, interrogés et qu’ils seraient bientôt jugés.
La pendaison était à envisager.
Par contre, il se garda bien d’indiquer la teneur des aveux recueillis. Il
s’agissait de la quatrième attaque d’une jeune fille. L’une en était morte,
une autre resterait infirme à vie et une troisième avait échappé à un
funeste sort grâce à l’intervention d’ouvriers agricoles qui faisaient des
labours dans un champ proche. Les quatre jeunes femmes avaient des
points communs : l’âge, entre 16 et 20 ans, des cheveux bruns ou châtain
foncé, des yeux clairs. D’après l’un des attaquants, le but était
d’empêcher la prise de fonction de la future comtesse.
Lui, Gwen, avait été envoyé pour la protéger, mais en dépit de ses
recherches dans tout le comté, il n’avait pas réussi à la localiser. Il avait
donc assuré la protection de plusieurs jeunes nobles qui correspondaient à
cette description, dans différents coins du comté. Il désespérait de la
trouver. Le temps était compté. Il restait un peu plus de trois mois avant
son dix-huitième anniversaire, date à laquelle elle ferait son apparition au
château de Perlagen.
L’agression de ces quatre jeunes femmes le perturbait au plus haut point.
L’ennemi semblait volontaire. Les bandits avaient refusé de donner son
nom, même sous la torture. Hormis leur vague ressemblance et
l’imprécision des descriptions, rien n’indiquait que l’une d’entre elles soit
la comtesse. Par contre, il y en avait une qu’il voulait absolument sauver
et protéger pour bien d’autres raisons. Elle était sous son toit, inerte,
transpirant de fièvre, si belle dans la souffrance, si fragile, si … attachante.
– Altesse, Altesse, elle a bougé.
Il leva les yeux de son assiette. La femme de chambre arrivait en courant,
au comble de l’excitation.
– Oh ! Altesse, elle a ouvert les yeux quelques instants et elle a bougé un
peu.
– Allez chercher le médecin, j’arrive.
La chambre était sombre. Le soleil avait décliné et la nuit allait bientôt
survenir. Seule une bougie diffusait une lumière timide dans la pièce. Il
s’approcha du lit. La jeune femme gémissait doucement, s’agitait un peu.
Il lui prit la main.
– Calmez-vous, murmura-t-il, le médecin va venir d’un instant à l’autre.
– mal, j’ai mal, dit-elle dans un souffle, les yeux fermés, la respiration
courte.
– ça va aller, on va vous soulager.
Elle ouvrit péniblement les yeux, la sueur perlait à son front. Il reçut un
coup au coeur. Deux yeux gris, métalliques, le regardaient. Les pupilles
étaient dilatées par la douleur. Elle voulut se redresser, mais y renonça
avec une grimace. Elle souffrait.
– Qui … qui êtes-vous ? Où suis-je ? Sa voix était douce, mais on sentait
percer l’inquiétude et l’incompréhension.
– Vous êtes entre de bonnes mains. Nous allons vous soigner mais vous ne
devez pas vous agiter.
– …
– Comment vous appelez-vous ?
Elle le regarda, surprise. Elle sembla faire un gros effort, son front se
plissa et il lut dans son regard une profonde détresse.
– Je … Je ne sais pas. Il vit des larmes embuer ses magnifiques yeux gris.
– Oh ! belle inconnue, ne pleurez pas. Ce n’est pas grave, vous êtes
fatiguée. Voici le médecin, on va vous soulager.
Il laissa le praticien ausculter sa patiente et lui administrer une potion.
Elle sombra dans le sommeil.
– Je lui ai donné quelque chose pour dormir cette nuit. Je suis content
qu’elle soit sortie du coma, c’est un soulagement.
– Quand je lui ai demandé comment elle s’appelait, elle a dit qu’elle ne
savait pas.
– Amnésie ? C’est possible après le coup reçu à la tête.
– Est-ce grave ?
– Malheureusement je ne peux pas dire, comme ça. Soit les souvenirs
reviennent assez vite, soit ça prend du temps. On connaît mal les
mécanismes de la mémoire. Pour l’heure, je suis plus inquiet de ses
blessures qui ne cessent de s’infecter que de ses trous de mémoire.
Le soleil entrait dans la chambre par les fenêtres ouvertes. L’air était doux
et une brise légère aérait la pièce. Elle était allongée sur le côté, le regard
dans le vide lorsqu’il entra. Elle tourna légèrement la tête, le suivit des
yeux tandis qu’il approchait du fauteuil où la femme de chambre était
assise. Il envoya celle-ci se reposer et prit sa place.
– Comment allez-vous ce matin, demanda-t-il doucement.
– Bien, répondit-elle dans un murmure.
– Avez-vous bien dormi ?
– Oui, je crois.
– Je suis Gwen de Kermalec, Prince de Persac. Vous êtes ici chez moi.
– Comment suis-je arrivée ici ?
– Vous ne vous souvenez pas ?
Elle fronça son beau front, fit un effort de concentration puis sembla
renoncer.
– Non, dit-elle tandis que des larmes perlaient aux coins de ses yeux.
– Ce n’est pas grave, le médecin dit que vos souvenirs reviendront. Vous
ne devez pas vous forcer.
– Mais je ne sais même pas qui je suis, se plaignit-elle d’une toute petite
voix incertaine.
– A part le fait que votre grand-père, le Marquis de Guéhennec, s’est
exclamé “par tous les saints“ en vous voyant et que sa petite fille,
Gwendoline, ne cessait de dire “la pauvre chérie“, je l’ignore moi aussi.
Elle eut un drôle de petit rire qui le troubla au plus profond de ses
entrailles.
Je pourrais vous appeler sainte chérie, mais je suppose que vous allez
trouver ça inconvenant et déplacé de la part d’un inconnu. Le sourire
qu’elle émit alors le fit fondre.
– Effectivement, ce serait fort inconvenant et particulièrement déplacé, je
suppose.
– Par ailleurs, mon ami Ian de Kerjourec prétend que vous êtes une fée de
la lande.
– Fée de la lande ? Je ne pense pas que ça soit exact. Les fées n’existent
que dans les récits, n’est-ce pas ? reprit-elle après mûre réflexion.
– Nous voici donc en plein dilemme. Tous ces noms ne vous disent rien
visiblement.
– Effectivement, ça ne m’évoque rien.
– En attendant d’en savoir davantage, je crois que je vais vous appeler
petite fée si cela ne vous offusque pas.
– Si cela vous convient, pourquoi pas ?
Elle essaya de se redresser un peu. Un gémissement plaintif s’échappa de
ses lèvres. Elle fit une petite grimace adorable.
– D’après ma femme de chambre, je ne dois pas rester sur le dos, mais
rester sur le côté finit par être pénible aussi.
Il l’aida à s’asseoir délicatement et glissa un deuxième oreiller derrière
elle. Il vit une grosse tache brunâtre dans son dos.
– Souhaitez-vous manger quelque chose ?
– Merci je n’ai pas faim.
– Il faut vous restaurer si vous voulez guérir. Un peu de pain et une tasse
de thé ne vous feraient pas plaisir ?
– Si vous y tenez.
Tirant sur le ruban à la tête du lit, il passa la commande au majordome.
– Le médecin va venir changer vos pansements. Je reviendrai vous voir
plus tard.
Elle hocha la tête, fatiguée, ferma les yeux et poussa un soupir.
– La blessure à la tête est en bonne voie de guérison. Je lui ai ôté le
pansement, la plaie est refermée, la croûte est sèche. Il n’y a pas de pus.
Les blessures au dos et au bras suppurent encore, mais c’est mieux. De
bons lavages et du désinfectant devraient en venir à bout.
Par contre la blessure par balle s’est beaucoup infectée. Je vais devoir
inciser et creuser pour nettoyer encore en profondeur. Ca va être très
douloureux.
Le médecin semblait inquiet, dubitatif.
– Vous comprenez, poursuivit-il, elle risque une infection généralisée si
nous n’arrivons pas à enrayer ça. La fièvre est tenace, ça ralentit les
processus de guérison. Je n’aime pas ça.
– Oui, je comprends. Puis-je vous aider en quoi que ce soit ?
– Je vais avoir besoin de l’infirmier de votre escadron, sa femme de
chambre pourra s’occuper des pansements ensuite, alors si vous voulez
bien aider à la tenir pendant que je l’opèrerai.
– Soit. Quand comptez-vous procéder ?
– Demain dès le lever du jour si cela ne vous ennuie pas. J’aimerais
essayer de lui faire faire quelques pas dans l’après-midi. Elle est restée
trop longtemps couchée, ça n’est pas bon.
– Vous pensez qu’elle souffre beaucoup ?
– Elle gémit de temps en temps, elle grimace un peu, mais elle ne se
plaint pas plus que ça. Elle a une grande force de caractère.
– Oui, j’ai remarqué.
– Je reviendrai dans la soirée.
– Merci docteur.
Elle était allongée sur le ventre. On avait mis son dos à nu. Les
égratignures du dos avaient été lavées et on avait posé un onguent
cicatrisant dessus.
Il lui tenait la main tout en lui expliquant ce qu’on allait faire, d’une voix
calme qu’il espérait rassurante. De l’autre côté, l’infirmier retirait le
pansement à petits coups. Celui-ci restait solidement accroché là où
l’infection avait formé une large tache. La femme de chambre trempait
délicatement le tissu tandis que l’infirmier tirait petit à petit, à mesure que
l’eau pénétrait entre les fibres. Bientôt la peau fut mise à nu. Une grosse
masse de pus commença à se déverser lentement de la blessure. Le
médecin jeta un oeil, fit une vilaine grimace et annonça, d’un signe de tête
qu’il allait commencer.
– Etes-vous prête ? demanda le prince en la fixant dans les yeux. Serrez
ma main, n’ayez pas peur de serrer fort. Criez tout ce que vous voulez,
insultez-moi si vous en avez besoin, mais surtout ne bougez pas.
– Allons-y, dit-elle dans un souffle, puis elle prit une profonde inspiration.
Il continua à lui parler doucement, sentant sa main brûlante serrer la
sienne. Par moments, elle poussait un petit gémissement, respirait plus
profondément, fermait les yeux, avalait sa salive, soufflait à petits coups.
Pendant ce temps, le médecin avait retiré le pus superficiel. Muni d’une
poire en caoutchouc, il injectait un liquide dans la plaie pour retirer le
maximum de masse jaunâtre et gluante. Puis il enfonça des mèches
trempées dans solution désinfectante. Elle eut un léger sursaut, serra sa
main plus fort, retint sa respiration, dents serrées. Son visage se crispa,
yeux fermés puis elle souffla à petits coups. Après avoir bien nettoyé la
plaie, le médecin la rinça encore et injecta enfin un liquide désinfectant.
– C’est bientôt fini, dit le prince en épongeant son front couvert de sueur.
Vous êtes très courageuse.
– Merci, murmura-t-elle, j’essaye.
Après avoir enduit le bord et les pourtours de la plaie d’un baume
cicatrisant, le médecin laissa l’infirmier et la femme de chambre poser un
bandage tout autour de l’épaule de la jeune femme. Puis ils soignèrent
quelques entailles au bras.
– Voilà, c’est fini. Reposez-vous un peu maintenant, vous l’avez bien
mérité. Le médecin viendra après le déjeuner vous aider à vous lever. Et si
vous le souhaitez, ce soir nous dînerons ensemble.
– Ne changez rien à vos habitudes pour moi, je vous en prie. Ca ira.
– Je veux m’assurer que vous vous alimentez.
Elle eut un petit sourire qui le mit en transe. Puis, lui montrant son épaule
bandée et son bras inerte :
– Je ne peux me servir que d’un bras, une soupe suffira.
– Ne vous inquiétez pas de cela, mon cuisinier va être prévenu. Et vous ne
me dérangez absolument pas.
– A votre convenance, mais je ne souhaite pas être importune ni un poids
pour vous.
– Ne vous inquiétez pas de cela. A plus tard.
Il lui lâcha la main à regret.
La femme de chambre l’aida à se rhabiller tandis que le médecin rangeait
ses instruments, que l’infirmier emmenait les déchets. Puis ils l’aidèrent à
s’allonger sur le côté et elle s’endormit bientôt, épuisée par les efforts
fournis pour lutter contre la douleur.
On l’avait obligée à se lever.
Au premier essai, on l’avait laissée s’asseoir au bord du lit pendant
plusieurs minutes. Sitôt qu’elle avait essayé de se lever, elle avait été
prise d’un éblouissement. Au vu de sa pâleur soudaine, le médecin l’avait
remise au lit, assise, soutenue par des oreillers.
Quelques heures plus tard, au prix d’un violent effort de volonté, elle avait
réussi à effectuer quelques pas, soutenue par la femme de chambre et le
médecin. Elle était parvenue jusqu’à un fauteuil, placé judicieusement
près d’une fenêtre, un coussin glissé dans son dos.
C’est là que la trouva le Prince de Persac, nimbée de la lueur du soleil
couchant. On avait coiffé sa longue chevelure noire et les boucles
retombaient gracieusement sur ses épaules et dans son dos. Elle portait
une robe de chambre bordeaux sur une chemise de nuit rose pâle. Elle
était d’une beauté incroyable. Elle paraissait si fragile, pourtant son visage
reflétait une détermination farouche. Elle devait certainement être dotée
d’un sacré tempérament.
Il se pencha sur sa main valide pour un baisemain qu’il aurait bien aimé
prolonger, mais elle l’en empêcha en retirant son bras.
– Je suis heureux de voir que vous êtes levée. L’observant attentivement,
il demanda, comment vous sentez-vous ?
– Bien, le médecin a insisté pour que je quitte le lit. On en a profité pour
changer mes draps.
– Parfait, vous vous sentirez mieux dans des draps propres. J’ai fait
apporter le dîner ici. Nous mangerons tous les deux si ma présence ne
vous importune pas.
– Ce serait plutôt moi l’importune, ici. J’ai bien conscience que vous vous
donnez beaucoup de mal pour me satisfaire, Altesse.
– Appelez-moi Gwen, petite fée. Vos souvenirs reviennent-ils ?


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