Eric ou la vraie vie – Six balades

Eric ou la vraie vie

Auteur : Odil Allebaï

Date de publication :
16 novembre 2019

ISBN :
978-2-9534938-Ro-4.023

Nombre de pages :
57

Genre :
roman

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Suivons les traces d’Eric dans une suite de balades à travers la France. Entre rencontres, découvertes, méditations et paysages interpellants. Eric est un être à part, un idéaliste, un aventurier, et ces promenades dans notre beau pays vous feront rêver, très certainement. Odil Allebaï nous invite à suivre son personnage de belle manière, dans un style fluide et poétique.

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Extraits :

De la « p’tite lichette », nous profitions, nous aussi, sans retenue. Pour autant la bouteille n’était jamais vide. Je n’ai jamais osé demander à Eric depuis quand il la portait. On voyait bien que l’étiquette s’était usée depuis longtemps au frottement du sac car pour ce qu’il en restait, on ne distinguait même plus la marque du breuvage !

Le soir autour d’un feu de veillée. Entre deux p’tites lichettes parsemées de rires, quand il parvenait à raconter ses aventures. Mot à mot. Nous étions chanceux lorsque nous avions droit à plusieurs phrases d’affilée. Ce soir-là, il fut question d’une jeune fille d’Izmir et de sa famille qu’il a rencontrée au grand complet. Un autre soir il aura été question d’une panne de mobylette et des avatars de la réparation. Quand il dut dormir au bord de la route et qu’il rata par l’occasion un rendez-vous fixé cent kilomètres plus loin, à Istanbul. Quand il se réveilla le lendemain à la première heure et que la machine avait disparu. Eric racontait toujours les mêmes histoires et bien entendu tous les connaissaient. Cela expliqua pourquoi ses amis furent de moins en moins nombreux. Et Eric, à cause des ignares du rire et des contempteurs de la « p’tite lichette » se retrouva bientôt seul. Car la p’tite lichette ne faisait plus rire. Et si elle faisait parfois encore sourire, c’eût plutôt été de mépris. Quant à son rire, il était devenu synonyme de niaiserie. Eric aurait été un simple d’esprit. Il se retrouva vite bien seul.

Seul avec sa moto. Car cette fois, ce fut en moto qu’il décida de retourner en Turquie. Une grosse BM. Modèle police. Du sérieux. Il allait leur en remontrer ! « Un seul d’entre eux serait-il capable de me suivre ? » Il n’était même pas certain qu’il eut un jour cette pensée sauvageonne. Car il ne les vit plus sitôt qu’ils lui eurent tourné le dos. Eric regardait en face. La Turquie se trouvait devant lui. Il y fonçait ! Lui aurait-elle offert ses mystères ? Ses femmes, surtout, qu’il imaginait un peu lascives, je le sais, parfumées, bien en chair, orientales pour tout dire ? Comme celles des Mille et Unes Nuits. Une fois la moto bardée, nous fîmes un tour d’essai sur les routes d’Ile de France pour tester le chargement. Eric n’avait pas son pareil pour échafauder un barda sur un porte-bagages. La moto, à l’arrière, était enveloppée de bandes, un savant arrangement de sacs, de duvets et de casseroles. Nous roulâmes sur des routes de campagne verdoyantes. L’expérience fut concluante et à quelques ajustements près, l’arrimage expérimental fut agréé par le voyageur… Je crois que je ne suis jamais remonté sur une moto…

Eric, finalement, je l’ai aimé. Son rire, certes. Son goût de l’aventure, surtout, la pureté de sa démarche. Car je dois l’avouer : au départ, contrairement aux autres jeunes gens, je n’aimais pas Eric. Trop simple. Pas de conversation. La bouteille. Il m’aura fallu des mois pour entendre ce rire et pour partager la “p’tite lichette“.

Nous avons ainsi vécu des moments de réelle joie. Lorsqu’il arrivait, le foyer de notre amitié se rallumait quasi instantanément. Il habita un temps un studio dans une résidence située non loin de chez mes parents et nous nous retrouvions pour des repas amicaux. Eric riait. Mais il ne parlait toujours pas. Même de ses voyages. Plutôt, il n’en parlait plus. Même s’il avait entrepris d’autres voyages, encore des voyages. Il n’en parlait pas. Je savais qu’il avait acheté un camping-car et se baladait maintenant plus confortablement. Fi de selle ! Fi des intempéries ! Et si la Turquie l’attirait encore, j’apprenais un jour presque par hasard qu’il avait découvert la musique péruvienne, celle des Incas, qu’il ne rêvait plus que de voyager en Amérique Latine.

Je ne m’en rendais pas compte mais Eric changeait. En passant de l’Anatolie à la Cordillère des Andes. Désormais revêtu d’un poncho de laine peignée, Eric portait maintenant sur lui un magnétophone à cassettes. La bouteille avait disparu. Il écoutait sans relâche de la musique andine. Des flûtes. Des mélodies à la fois rythmées et essoufflées. Des mélodies éthérées qui emportent l’esprit vers des cimes extraordinairement élevées, si hautes que l’on se demande comment on en reviendra. Eric cherchait encore le lieu le plus élevé. Il cheminait en pensée à la cadence des musiciens. J’apercevais ce corps musclé gravir les sentiers escarpés. Il était chaussé d’espadrilles, son pied épousait le sol, de la caillasse, il dérapait sur le gravier. Eric progressait irrésistiblement. Il explorait la montagne. Sa voix, qui résonne toujours en moi, transmettait des interrogations. Et des impatiences. Il voulait « y aller ». « Alors qu’est-ce qu’on attend ? » disait-il souvent. « Mais c’est tellement simple, il SUFFIT d’y aller. » Combien de fois alors que les p’tites lichettes ne faisaient plus recette avait-t-il déjà prononcé ce « qu’est ce qu’on attend ? »

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Sourdant sans fin d’insondables réservoirs célestes, de la blancheur astrale se déverse en flots transparents, en nappes froides, et leurs vernis limpides s’emparent des troncs nus et des branches lisses, partageant incontinent leur glace avec l’hiver glorieux, et recouvrent en un même emportement des recoins qui sous l’ombre noire et les aveuglements qu’elle distribue au hasard en deviennent encore plus mystérieux. Ils donnent ainsi un aspect extraordinaire à l’enchevêtrement de ces bois.

C’est un théâtre de verdure que l’on découvre en arrivant, une scène peu fréquentée à cette heure. Pourtant, une représentation débute. Si les spectateurs ont déserté depuis longtemps, habitent encore ici des familles de bons génies qui volettent en spires bondissantes et tressent sans jamais s’arrêter d’invisibles couronnes d’air léger, bourrelées de nattes fuyantes qu’elles déposent au gré changeant de la caresse des vents et de ses ondulations sucrées, au terme de gentils voyages, à mille amis invisibles. Entre alors à pas de sioux, et que l’on croit venir du firmament, un personnage étrange, le corps haut et fin, et qui joignant les mains très loin devant comme en manière de supplication, amorce posément une prière ailée dont les arches diaphanes en s’ouvrant largement lui donnent l’apparence d’un papillon. Lorsqu’il se prend dans un envol chavirant qui l’emporte en claquant silencieusement jusqu’à ce qu’il entre en métamorphose, quand son poids s’allège sous l’élan au point que les hanches s’en pétrissent et que leur marne grasse se redresse en beaux et solides arrondis, au point que la jambe s’en lustre et que ses lignes commodes s’étirent en souples et minces fuseaux, et quand il lance son buste et le tourne vers les cimes, à chercher un nouvel air, à s’emplir d’une inspiration qu’on ne trouve que dans les hauteurs, peut-être jette-t-il un trait vers les dieux. Puis il se met à pirouetter, glissant sur les pistes zigzagantes d’un chemin labyrinthique, et tant qu’il donnerait à l’ignorant le spectacle d’une voltige folle, entraîné malgré lui dans l’errance d’un elfe ébloui par la lumière des étoiles alors même qu’il rémoud, certes, mais sous l’ombre, le fin couteau des flèches que fourbit là haut un invisible sagittaire. Oui, il se voit en papillon. Oui, il est papillon, un papillon qui fend les cieux, suspendu à l’appareil empanaché d’un quadrige d’ailes joliment décorées.

Eric suit paisiblement le chemin de ronde des sentiers grisonnants.

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Edité et distribué par la maison d’édition numérique associative Plume Direct

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