Augustin ou l’impatience d’un jeune danseur

Augustin ou l’impatience d'un jeune danseur

Auteur : Odil Allebaï

Date de publication : 20 mai 2020

ISBN : 978-2-9534938-Ro-4.026

Nombre de pages : 98

Genre : roman

Lire l’œuvre

Cet ouvrage est disponible en version papier en suivant ce lien.

Augustin reçoit de son père l’étincelle qui révèle la passion de sa vie : la danse. Sans le savoir, cet homme nourrit l’âme de son fils en écoutant lui-même le concerto pour violon de Beethoven. Même si l’enfant dort, la musique pénètre son coeur et chemine : les cinq coups de mailloche qui ouvrent l’oeuvre retentissent profondément, si profondément que l’évidence s’impose, à laquelle Augustin ne peut se soustraire : donner toute leur place aux courants puissants de son imagination où se mêlent tout ensemble une sensibilité dont la finesse bouleverse ses sens et une soif inextinguible de mouvement. Il sera danseur. Sa jeune vie se déroule plutôt calmement même si les spectacles iréniques et la petite voix du violon jamais ne relâchent, et que les cours de musique et de danse qu’il suit pendant ses années d’adolescence entretiennent cette flamme : il obtient un diplôme d’ingénieur et travaille depuis peu dans une entreprise de production d’eau potable.

L’impatience, cependant, ronge le jeune homme. Enfin, il décide de livrer combat : Augustin se fait chorégraphe !

Quand survient Nitsu, un androgyne étonnant, danseur surdoué, il le convainc de l’entraîner dans l’aventure. Il sera son premier danseur. Il en fait même son pseudonyme. Le fameux concerto et les histoires phénoménales qui bouleversent encore ses songes, il leur donne enfin la forme qu’il se contentait de rêver ! Alors, un surprenant cheminement apparaît, et qui ne commence pas de ce jour. Où conduisent donc les trois rupestres voyages qui, de la campagne berrichonne, de la montagne tyrolienne et d’une forêt d’Ile de France épousent les trois mouvements du concerto, le séveux allegro ma non troppo, le majestueux larghetto, l’ébouriffant rondo allegro et aboutissent sur la scène du Théâtre des Serres ? Une alchimie se produit.

L’histoire est celle d’une rencontre. Une belle rencontre. Madeleine Sivat, la directrice de l’école de danse, met sa compagnie et son théâtre à la disposition du jeune chorégraphe. Une opportunité ! Mais, entre Nitsu et Augustin, un douloureux combat s’engage bientôt. Quel rôle joue exactement Tobia dans cette histoire échevelée ? Les violons modèlent les mouvements des danseurs qui conjuguent avec ardeur des styles urbains, classiques et modernes. Un spectacle résolument contemporain, une démarche littéraire inédite mais dont on ne dévoile pas la conclusion !

Lire l’œuvre

Extraits :

LA NAISSANCE D’UNE VOCATION

Le quinté de mailloche.

Une fois par mois, environ, il y avait une sorte de rituel. Ce soir, le signe annonciateur s’était produit. Maman était montée en même temps que les enfants, ce qui n’était pas fréquent. Elle les avait accompagnés jusqu’à leur chambre puis les avait embrassés tout en tapotant leur joue d’une certaine manière qui indiquait qu’elle était fatiguée et qu’elle se retirerait dans sa chambre aussitôt sortie de la leur. Augustin connaissait bien ces touchers maternels ! Et ces soirées-là étaient généralement les soirées de musique car Papa, resté seul au salon, en profitait pour écouter des disques. Alors, ils avaient attendu.

Blotti sous la grotte tiède du drap, Augustin avait frémi. Il avait bougé ses jambes, il avait inspiré fort puis il avait croisé ses mains sur sa poitrine. Oui, l’enchantement était bien là… Dans l’autre lit, son petit frère, aussi, avait bougé puis il avait ouvert les yeux. Pierre l’avait interpellé. « Tu entends, Augustin ? Ce soir, Papa a encore invité les musiciens. – Oui, ils sont installés au salon. Le concert va commencer. Dépêchons-nous ! Et, surtout, pas de bruit ! N’oublie pas la consigne : on ne parle pas et on ne fait pas craquer les marches de l’escalier ! » Ils s’étaient rapidement extirpés des couvertures. « Donne-moi la main, Pierrot, tu risques de te prendre les pieds sous le tapis du couloir, comme l’autre jour. – Non mais ! » Et ils s’étaient dirigés résolument vers le fond de la pièce, où se trouvait la porte. « Chut ! »

Il était si tard qu’ils empiétaient largement sur leur sommeil. Mais ils savouraient ces explorations interdites. Ils ne parlaient pas. A peine leur respiration soulevait-elle leur pyjama. Du salon, leur parvenait un curieux collier de sons, une cascatelle argentine qui leur semblait descendre directement des cieux. Et, déjà, Augustin, le plus âgé, du haut de ses sept ans, embarquait, téméraire, sur des vaisseaux imaginaires. Il imaginait une foule se presser aux portes d’un théâtre, des gens taper la semelle en attendant l’ouverture des portes, une queue s’allonger sur le trottoir, à l’affût du pas claquant de la caissière, du tintement d’un trousseau de clés. Il frissonnait d’impatience. Il avançait à pas de loup en traînant son frère par la main. Il tournait précautionneusement la poignée de la porte puis ils gagnaient le palier, un doigt posé sur les lèvres. Les volets étaient clos et la nuit, épaisse. Les motifs champêtres de la tapisserie murale étaient invisibles, seul le grain du papier, lorsqu’on le caressait des doigts, indiquait l’endroit de la cage d’escalier. On devinait la cascade laineuse de l’épaisse moquette. Les enfants avaient descendu deux ou trois marches. Puis ils s’étaient assis côte à côte, tout près l’un de l’autre. Augustin avait lâché la main de son frère. A voix basse, Pierre s’était étonné que son frère ne l’eût pas conduit plus près, parce qu’installés si loin, dit-il, ils risquaient de ne pas profiter pleinement du concert. « Mais maman n’est pas couchée ! N’as-tu pas entendu l’eau couler dans la baignoire ? Tiens-tu à ce qu’elle nous trouve ici en sortant de la salle de bains ? – Non. – Alors, attendons, puis nous descendrons encore trois ou quatre degrés… »

A cet instant, la porte s’était ouverte et la silhouette fluide d’une jeune femme avait traversé le couloir d’un pas hâtif. Ils avaient alors traversé le palier, coupant le délicat effluve féminin. L’aîné avait repris la main du cadet et ils étaient descendus à pas de souris jusqu’au premier étage. Au rez-de-chaussée, le concerto pour violon en ré majeur de Ludwig van Beethoven commençait. Augustin en suivait la partition comme on randonnait en campagne, le cœur léger, sous l’effet d’un plaisir sans cesse renouvelé, et il en cueillait mille fleurs et fruits.

A l’ouverture, le fameux quinté de mailloche claquait comme les baisers doux déposés par les lèvres d’une marraine fidèle sur les joues d’un filleul enamouré, frayant un passage vers un monde fantastique dont les bienfaits s’égrenaient par-dessus les siècles. Si faiblement, pourtant, il retentit, comme à chaque fois !

Tem, tem, tem, tem, tem… Tapée discrète… Défilé de fourmis… Flopée de flocons de neige… Lancer de pointillés menus… Tombée de gouttes de soleil…

Alors, Augustin tressaillait. Ses entrailles se contractaient vaguement. Il avait l’impression que ses jambes se tendaient malgré lui. Il frottait ses doigts de pied sur la moquette rêche et ses mains coulissaient inconsciemment sur les barreaux de fer tandis que son frère soupirait. L’envol des violons emportait les soucis. Le plaisir zébrait les chairs. Gracieuses alchimies. Ha la magie des cordes, la force des archets ! Le seigneur violon étendait son empire, ébouriffant la nature, effaçant les craintes, endormant les blessures.

De leur position surélevée, Augustin et Pierre apercevaient, sur le carrelage du couloir de l’entrée, le rai jaune, passé de sous la porte du salon. On eut dit que cet auguste doigt montrait une direction.

Ce soir là, par un effet inexplicable, Augustin avait pris une décision. Un astre de feu avait tournoyé en son cœur. Terpsichore s’était penchée sur son âme et le sustentait en ses bras féériques. Il était décidé à écrire les plus belles histoires avec son corps. Il danserait. Il se battrait pour atteindre le devant de la scène. Il apprendrait à jouer de son instrument de chair. Il promettait ce remerciement à la déesse qui l’avait béni.

En son âme, quel drôle d’embrouillamini ! Augustin n’entendait plus le concerto. Déjà, rôdaient des ballets déraisonnables, des folies créatrices, des constellations exceptionnelles. La vie enflait, tout simplement. En lui se croisaient des foules bigarrées, coulaient des fleuves torrentueux, chaviraient des forces graves. Et l’enfant aux pieds nus, mailloche en main, frappait de toutes ses forces gamines…Tem, tem, tem, tem, tem…

Gorgés de sève sirupeuse, les hauts-bois taquinaient les violons et leurs élans balançaient l’auditeur vers les saveurs mélodieuses de jardins multicolores. Ils échangeaient de mutines déclarations, ils recevaient de fragiles chatouillements. Méli-mélo de cordes aux circonvolutions veloutées et de vents aux spires alenties. Des sources gargouillaient. Des astres clignotaient. Du vent chantait. Des colombes s’envolaient. A terre, un ru perlait parmi les mousses et des larmes alanguies zigzaguaient entre les cailloux.

Pierre tapa doucement l’épaule de son frère. « Augustin, souffla-t-il ! » Ce dernier ne s’en aperçut pas. « Augustin ! Tu ne m’entends pas ? » Augustin entrebâillait le rideau de la vie. En effet, l’âme féconde de Beethoven abondait en semence.

Un môle à l’entrée d’un port. Des partances étaient en cours. Beau temps. Augustin contemplait la course éméchée des vaguelettes. Leur frise d’écume blanchâtre fécondait le sable sec d’un sel saupoudré des lointaines étoiles. Il subissait le charme de leur clapotis.

Plus loin, un arc de falaises tendait son mur de craie aux lignes irrégulières dont la blancheur tépide traçait sur l’horizon une frange pâle. L’enfant s’émerveillait. Une volonté luisait en lui, comme la lame d’un couteau neuf et il la tirait de son fourreau, le temps d’admirer le bel effilement de l’acier, bien avant d’apprendre à s’en servir.

Ainsi commençait sa vie. Le gamin venait de rompre l’hyménée de l’enfance. Depuis la mer, les paroles découvreuses d’un chant calme montaient doucement vers les flaques dessinées par le reflux, frisottaient par-dessus l’eau claire puis l’onde s’élevait encore, cherchant l’écho des falaises. Augustin se voyait, l’inconscient, marchant sur les flots. Il rêvait de faire rêver, lui, le messager de la brise marine, l’angélique innocent aux ailes poudrées. Il rêvait qu’on l’admirait. Il se tourna vers son frère Pierre et lui dit : « vois, frérot, la vie, comme elle sourit. »

Premiers combats.

Ce n’était pas toujours vers un bord de mer que la bourrasque emportait Augustin. Il arrivait aussi que l’aventure soufflât, par exemple, en des montagnes escarpées, où de grandioses paysages alignaient d’incisives vallées rongées par de terrifiants torrents, à la force mortelle, à la splendeur cristalline, immensément tapissées de ténébreuses forêts. Leurs sommets herbeux, lorsqu’ils étaient balayés par les vents chauds de l’été, l’attiraient. Il s’attendait à des rencontres mystérieuses, à des explorations périlleuses. Oui, de formidables draps blancs aveuglaient encore son esprit, comme autant de rideaux à déchirer, à croire, se disait-il, qu’une onde maligne se plaisait à les tirer devant lui. En vain, cependant, car cette seule vue provoquait une excitation qu’il avait peine à dissiper. Il avait compris que la vie ne se livrerait pas sans coup férir et qu’il devrait se lancer à sa conquête. Le combat était d’ores et déjà engagé. Il ne connaissait guère ses adversaires, ni leur nombre, ni leur force, mais il les savait présents. Et le gamin prenait peur. Ces gladiateurs, il entendait le cliquetis de leurs armes et leurs cris menaçants, ces cris qu’ils poussaient avant d’entrer dans l’arène, des cris dont Augustin ne comprenait pas encore qu’ils étaient arrachés par la peur de mourir. Pour l’heure, ces rugissements n’étaient pas loin de le terroriser.

Quand l’heure viendrait-elle de s’engager à son tour ? Quand la herse qui ouvre vers la piste de sable, se soulèverait-elle ? Quand le soleil darderait-il si fort qu’il lui en brûlerait de demeurer à l’abri de la coquille de l’enfance ? Mais n’avait-elle, cette coquille, été déposée par le reflux des vagues violoneuses au havre velouté du domicile familial ? Ah le quinté de mailloche…

Lire l’œuvre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *